« Limite de 6 par client. Mmm… je m’en venais en acheter un, mais je vais en prendre quatre. » Que s’est-il passé? Le commerçant a misé sur le biais d’ancrage présent dans mon cerveau pour me faire acheter plus que ce dont j’avais besoin. Voyons donc ce qu’est ce biais d’ancrage, son utilité en marketing, et comment on peut essayer d’éviter de tomber dans le piège.
Musique à écouter pendant ou après la lecture de ce billet (il se peut que l’écoute simultanée ne soit pas possible): Narval de Martin Lizotte et Mathieu Désy
Choix et heuristiques
Vous et moi, comme amateurs du minimalisme, fournissons des efforts pour éviter d’acheter des objets, de la nourriture ou des services dont on n’a pas besoin. Mais une foule de gens essaient tous les jours, par toutes sortes de moyens, de nous faire dépenser l’argent qu’on a ou pas. Et parmi ces gens, il y a des experts en marketing qui ont étudié des principes de psychologie afin de mieux influencer nos choix.
Des choix, nous en faisons des milliers chaque jour : la crème dans le café, la couleur de t-shirt, le trajet vers le travail, le bâton de golf, l’émission sur Netflix, etc. Pour réussir à prendre toutes ces décisions, notre cerveau utilise des heuristiques.
Qu’est-ce qu’une heuristique? C’est un raccourci emprunté par notre cerveau pour effectuer un choix sans procéder à une analyse en profondeur. Par exemple: embaucher un ouvrier simplement sur recommandation d’une amie; ne pas entrer dans un restaurant qui semble malpropre; accepter la prescription d’un médecin.
Le but des heuristiques est de nous aider à réaliser les bons choix avec peu d’effort mental. Mais certains de ces raccourcis nous font prendre des décisions erronées. On les appelle alors des biais cognitifs. On peut penser par exemple aux biais dans des processus d’embauche qui favorisent tel genre de personne (homme, femme, grand, jeune, etc.) sans raison valable.
Le biais d’ancrage
Un de ces biais cognitifs qui influence nos choix dans la vie de tous les jours est le biais d’ancrage, aussi appelé effet d’ancrage. C’est une tendance que nous avons à accorder trop d’importance au premier renseignement reçu (« l’ancre» ) dans un processus de prise de décision. Ce biais se manifeste surtout, mais pas seulement, avec des chiffres.
On se réfère en général à un article de 1974 par deux professeurs de psychologie de l’université hébraïque de Jérusalem, Amos Tversky et Daniel Kahneman, pour la première analyse de l’effet d’ancrage.
Voici un exemple des expériences que Tversky et Kahneman ont menées sur le sujet. Chaque participant commençait par faire tourner une roue de fortune numérotée de 0 à 100. La roue était conçue pour s’arrêter sur le 10 ou le 65. Les chercheurs lui demandaient ensuite d’estimer le pourcentage des pays membres des Nations Unies qui sont en Afrique.
Pour les participants dont la roue s’était arrêtée sur le 10, l’estimé moyen était de 25%. Pour ceux dont la roue s’était arrêtée sur le 65, l’estimé moyen était de 45%. Le chiffre initial (10 ou 65) avait donc une influence significative, même si ce chiffre n’avait clairement aucun lien avec la question!
L’effet d’ancrage en marketing
Voyons des exemples de tactiques de marketing qui se fient sur l’effet d’ancrage, c’est-à-dire sur notre tendance à accorder trop d’importance au premier chiffre que l’on voit (l’ancre).
Le prix qui se termine en 99
C’est l’exemple le plus courant. Même si le truc paraît évident, des recherches ont démontré qu’en fait ça fonctionne, que notre cerveau s’accroche au premier chiffre lu.
Par exemple, en 2021, des chercheurs de l’université Ohio State ont observé des ventes de café où le petit café coûtait 0,95 $ et le grand 1,20 $. Dans ce cas, seulement 29% des clients ont choisi le grand café. Mais à 1 $ le petit et 1,25$ le grand café, 56% des consommateurs ont choisi le grand café. La différence de prix était pourtant la même, mais le premier chiffre lu est passé de 0 à 1.
Un prix pour plusieurs unités
Trois professeurs de psychologie américains, Brian Wansink, Robert J. Kent et Stephen J. Hoch, ont fait plusieurs expériences sur le biais d’ancrage, dont celle-ci. Ils ont comparé les résultats d’une vente qui annonçait 4 rouleaux de papier essuie-tout pour 2$ à une autre qui annonçait 1 rouleau pour 0,50$. Le chiffre 4 étant l’ancre dans le premier cas, cette vente a eu des résultats 40% supérieurs à la deuxième, même si la valeur était identique.
Les limites de produits
Une autre expérience par ce même trio de chercheurs a été faite avec la vente de boîtes de soupe Campbell à 0,79 $ la boîte. En moyenne, les consommateurs achetaient 3,3 boîtes. Puis ils ont placé une affiche indiquant une limite de 12 boîtes par famille. La moyenne des ventes est alors passée à… 7 boîtes par consommateur!
L’ancre (12) avait donc clairement une influence sur les décisions des clients en leur donnant un ordre de grandeur de ce qui est un achat acceptable.
Le prix initial
Une ancre efficace est de montrer le prix initial d’un article puis son prix à rabais. Le nouveau prix nous apparaît alors comme une bonne aubaine dont il faut profiter… même si ce n’était pas un article recherché ou que le prix de vente est encore trop élevé pour la nature du bien.
Le bien de comparaison
Quand on nous présente d’abord un article hors de notre budget, le prix de l’article suivant, moins cher, semble très raisonnable. On peut le constater chez des concessionnaires automobiles où les premières voitures à l’entrée sont les modèles de luxe.
Le restaurant New Yorkais Serendipity 3 avait au menu, en 2010, un hot dog à 69 $. En comparaison, le cheeseburger à 17,95 $ semblait être une vraie aubaine!
La bague de fiançailles
Un vieil adage dit qu’il faut prévoir deux à trois mois de salaire pour une bague de fiançailles avec diamant. D’où vient cette ancre? Du producteur de diamants DeBeers qui a lancé cette idée dans les années 1930, dans le contexte de sa campagne publicitaire « A diamond is forever », afin de pouvoir augmenter le prix de ses diamants.
Dans notre billet sur les dépenses de mariage, nous parlons de cette campagne dont les effets perdurent aujourd’hui et d’une corrélation intéressante entre taux de divorce et coût de la bague.
Comment éviter l’effet d’ancrage?
Puisqu’un biais est un raccourci emprunté par notre cerveau, il s’agit de fournir un petit effort mental et se poser une ou deux questions. Peut-être que le résultat sera le même — c’est réellement une bonne occasion — ou peut-être que l’on va éviter une dépense imprévue.
Soyez conscient du biais d’ancrage
Ayant lu ce billet, vous serez déjà plus aux aguets des ancres qui sont placées intentionnellement sur votre route de consommateur.
Dites-vous que ce n’est pas parce que le prix est réduit que c’est un bon achat
Si vous achetez quelque chose dont vous n’avez pas besoin, quel que soit le prix, c’est de l’argent qui n’ira pas envers une de vos priorités. De plus, si c’est un objet physique, il prendra de l’espace dans votre demeure et demandera du temps d’entretien.
Prenez un moment de réflexion
Avant de mettre dans votre panier les 10 exemplaires de l’item en promotion, recueillez vos autres articles, puis revenez-y après ce moment de réflexion.
Établissez vos propres points de comparaison
Ce prix de x $ est le même que pour cet autre objet. Est-ce de valeur équivalente selon moi? Ou, avec cet argent, je pourrais plutôt…
Vérifiez le prix par unité
On voit de plus en plus dans les épiceries des articles affichés à 2 pour le prix x. Parfois il faut en effet en acheter ce nombre pour bénéficier du rabais, mais il se peut aussi que le prix à l’unité soit le même si vous en achetez moins.
Même si le prix à l’unité est plus élevé individuellement, votre panier vous coûtera moins cher. Donc, en avez-vous besoin et avez-vous l’espace pour la multiplication d’items? C’est bien d’économiser, mais si le résultat est un encombrement du domicile et le stress qui l’accompagne, est-ce que ça vaut les quelques dollars ou euros d’économie?
Adoptez d’autres astuces
Notre billet Répondre à son goût de magasiner sans (trop) dépenser d’argent pourra vous donner d’autres idées afin de contrecarrer les efforts des commerçants pour vous faire dépenser.
Conclusion
Les experts en marketing font appel à une gamme de nos heuristiques et biais cognitifs pour nous faire acheter sans trop réfléchir. Parfois, c’est pour un résultat positif : une aubaine pour un aliment, un bien ou un service dont on a réellement besoin. Ou pour aider une bonne cause. Mais trop souvent ces efforts de vente nous font oublier nos priorités en matière de finances, d’espace et de temps. Comme dans tous les aspects de la vie, ça prend un peu de travail mental pour surmonter nos biais, mais le résultat à long terme en vaut l’effort.
Connaissez-vous d’autres exemples de l’influence de l’effet d’ancrage ou d’autres biais sur nos choix de consommation? N’hésitez pas à les écrire ci-dessous.
Ressources:
L’article de 1974 de Tversky et Kahneman, Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases
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Je déteste les achats 2 pour x$ ou 3 pour x$… À moins de vraiment une grosse aubaine, j’en achète un ou je passe carrément. Intéressant à savoir pour les quantités limitées. J’ai toujours cru que c’était pour que plus de gens puissent en profiter. Merci beaucoup pour l’info!
Merci, Mélanie, pour votre commentaire et de partager votre approche quant à cette tactique de vente.
Très intéressant ce billet sur l’ancrage.
Merci Michel
Merci André!